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Interview William Finnegan au Bookstore

Interview de William Finnegan au Bookstore de Biarritz le jeudi 16 novembre 2017

William Finnegan, Prix Pulitzer en 2016 pour son récit Jours Barbares  était de passage au Bookstore à Biarritz. Inès et Kristel m’ont réservé l’honneur et le plaisir de l’interviewer avant la séance de dédicaces.

(La traduction des réponses de William Finnegan a été réalisée par son éditrice Claire Do Sêrro.)

 

 

 

Nous sommes ravis d’accueillir William au Bookstore à Biarritz, ce spot magnifique pour les amoureux de la littérature et des livres. Puisque lorsque tu es passé chez Antoine de Caunes en début de semaine, il t’avait promis des vagues à Biarritz, as-tu trouvé des vagues en arrivant en Pays Basque et as-tu surfé ?

Oui ... je suis désolé de ne pas parler français... Nous sommes arrivés ce matin de Bayonne et les vagues étaient magnifiques. J’ai surfé la vague de Cénitz à Guéthary, avec mon ami Bruno. Les locaux m’ont indiqué où me positionner et c’était de mieux en mieux avec la marée qui montait ; désolé si j’ai de l’eau salée qui coule de mon nez... 

Ce livre qui a eu du succès partout dans le monde et y compris auprès d’un public de non surfeurs, livre qui a nécessité vingt  ans de maturation, tu as beaucoup hésité avant d’écrire sur le surf à cause de ta situation professionnelle de journaliste au New Yorker. As tu été surpris de l’accueil chez ce public ?

J’ai été surpris dans le bon sens par la réception générale, mais j’ai écrit ce livre pour un public large, pas pour les surfeurs. Les surfeurs ont leur propre langage, leur dialecte, nous pouvons parler des vagues et du surf de telle manière que les personnes qui ne surfent pas ne comprennent rien, c’est un langage tribal. J’ai essayé d’écrire pour les gens qui ne parlent pas ce langage, les introduire à beaucoup de termes techniques, avec plein de petites explications, comme ça dans le livre, les scènes de surf, c’est comme raconter une histoire telle qu’on la raconterait à un autre surfeur et les gens qui feront attention pourront quand même s’emparer de ces termes dont j’ai parlé précédemment, voir pourquoi cette scène est importante pour moi, pour l’histoire ; il y a une certaine forme de plaisir là dedans. A force de rentrer dedans, l’auteur que je suis, vous traite sur un pied d’égalité. Une partie de ce livre, une partie du challenge de ce livre, étaient de trouver un point d’équilibre entre ces différentes choses.

Un moment donné, je te cite, tu dis, ou dans une interview que j’ai lu de toi, « J’ai des soucis d’écriture en permanence à l’esprit, y compris quand je suis à l’eau. » Tu décris aussi qu’après une session de surf tu es vraiment tranquille, vraiment relaxé et c’est là où tu peux vraiment te donner à l’écriture dans les meilleures conditions, si le surf a été bon je précise. Est-ce que parfois à l’eau tu as eu des intuitions pour écrire ?

C’est ce que je dis à mes éditeurs, quand je disparais de mon bureau « J’ai besoin d’inspiration, j’écrirai mieux lorsque je reviendrai ! » Mais la vérité c’est que parfois cela arrive vraiment. Vous savez après une bonne journée de surf, mon corps est vraiment tranquille, mon esprit clair, plus que d’habitude et je peux bien travailler. Mais ça c’est complètement de la fiction, pour m’échapper de mes responsabilités, avoir un peu de temps dans l’eau. J’habite à New-York City Manhattan, il y a de bonnes vagues pas trop loin, à une ou deux heures en voiture environ. Mais c’est une sorte de double vie un peu folle, de regarder tout le temps comment l’océan se comporte, le temps qu’il fait et de savoir où il faut aller ; mais c’est une pause magnifique par rapport à la vie super organisée que je peux avoir à Manhattan. Etre d’un coup comme ça dans l’origine, dans la sauvagerie, ce n’est pas comme quand on est ici et qu’on peut aller dans l’eau, rentrer à la maison ... C’est plus un projet, un mode d’être. Il y a tout le temps cette forme d’alternance, être un journaliste, être un surfeur, il faut trouver l’équilibre, c’est ce que je cherche.

Toujours par rapport à ton travail d’écrivain, tu dis que pour chaque nouvel article, tu dois réinventer un nouveau style, une nouvelle manière d’écrire, quelque chose de différent. Est-ce qu’il a fallu que tu parcours toutes les vagues de la planète pour trouver ton style ? Puisque tu dois te réinventer à chaque fois pour écrire, est-ce que découvrir de nouvelles vagues sans arrêt, t’a aidé à te réinventer et à aboutir à l’écriture de Jours Barbares ?

Encore une fois c’est ce que je dis à mes éditeurs « Je dois aller en Indonésie ! ». Mais c’est une idée intéressante. Vous savez quand on voyage et j’ai l’habitude de voyager pour le travail, je fait beaucoup de reportages à l’international, mais aussi évidemment je voyage pour le surf, et aujourd’hui par exemple, j’ai surfé sur un spot que je n’avais jamais surfé avant, un spot particulier et j’étais vraiment excité à l’idée de savoir si j’allais réussir à le surfer. Evidemment je suis vieux, mon style n’est plus ce qu’il était avant, cela serait trop de dire « Je vais essayer de travailler mon style », malheureusement comme quelques personnes le savent certainement, mais devenir vieux et surfer c’est une histoire assez triste. Mais l’été est éternel, on voit une nouvelle vague et on se dit « Hum... », cela me donne l’impression que je peux le faire, peut-être ...

Il y a une analogie avec l’écriture, c’est une bonne analogie car dans ce livre, qui est un récit très différent de mes autres livres qui sont plus journalistiques, qui parlent plutôt des problèmes d’autres personnes, là c’est juste ma vie, et les amis, la famille... Mais le challenge de créer ces pages là, j’écris beaucoup sur la politique, sur les gens, sur les différents endroits, et ça cela fait tellement longtemps que je fais ça, je devrais avoir ce style et la même approche que j’avais avant, ça devrait être plus facile. Mais d’une certaine manière ce livre a été un gros projet. Même pour de très gros articles pour lesquels je travaille pour le magazine, oui… réinventer pourquoi je fais ça. J’ai de l’expérience, pourquoi je pense que je dois inventer un nouveau langage, juste parce que c’est l’Indonésie ? Mais il faut que j’aille plus loin que ça, que cet endroit devienne nouveau pour moi et qu’il soit vivant dans les pages. Il y a en effet une analogie.

Sans vouloir dévoiler tout ce qu’il y a dans le livre, car il y a beaucoup de choses, tu décris le surf comme une pratique bien sûr très individualiste, les situations où tu es en danger, où tu es tout seul et où il n’y a personne pour t’aider, et en même temps tu as beaucoup de compagnons de route dans l’histoire, et en particulier il y a Mark le médecin cancérologue. Tu redoutes ses coups de fil, en espérant qu’il ne t’appelle pas car tu sais que lorsqu’il t’appelle c’est pour aller surfer souvent dans de mauvaises conditions. Tu dis qu’il va presque jusqu’à te dégouter du surf  à un moment donné et pourtant tu sors avec lui, tu l’accompagnes quasiment tout le temps à l’eau. Est-ce que tu peux nous parler un peu de cette relation avec Mark ?

Oui. Mon idée pour ce livre était tout d’abord d’écrire sur les spots de surf et les vagues où j’ai passé beaucoup de temps, les endroits que j’aimais et aussi les amis avec qui j’ai surfé et qui m’ont aidé à définir ces lieux, c’est cette combinaison …

J’ai surfé toute ma vie et j’ai beaucoup bougé, donc j’avais beaucoup d’endroits et je devais choisir. Et j’ai décidé de ne pas écrire sur quelques endroits où j’ai surfé tout seul, je n’avais pas d’amis proches, parce que l’écriture n’était pas intéressante : « Je sort… », « Je prends une vague… », « C’est comme-ci, c’est comme ça … ». Le plus intéressant c’est d’écrire sur l’amitié et sur les connexions avec l’océan, cette espèce de triangle, plus il y a de drames, de textures, de matières …

Le chapitre dont vous parlez c’est le surf à San Francisco, avec ce type Mark, le docteur. On avait vraiment une relation très particulière. C’est un surfeur de grosses vagues. Il y a vraiment peu de surfeurs qu’on appelle « surfeurs de gros ». On vivait à un endroit appelé Ocean Beach, il y a de très grosses vagues, c’est froid, c’est intimidant, c’est très difficile de ramer et il y a encore très peu de gens qui surfent là-bas ; c’était dans les années 80. On avait ce genre de relation où il me disait toujours : « Viens, viens, ça va être drôle !! » Et non, ça va pas être drôle du tout !! On était dans l’eau et on voyait six lignes d’écume. Les combinaisons n’étaient pas très bonnes à l’époque et il était complètement fou, mais on a eu plein d’aventures pendant un certain nombre d’années, c’était très intéressant.

Une partie de l’histoire c’est ma résistance, pas justes aux grosses vagues, mais plutôt ma résistance au fait qu’il évangélisait un peu les vagues, le surf, c’était un surfeur évangéliste : « Surfer c’est bon pour toi !! » et je pensais :  pas vraiment… pas pour moi… 

Surfer j’ai fait ça toute ma vie, mais je voulais faire mon travail sérieusement, publier. Je suis donc parti de San Francisco pour New-York.

« Le surf doit être le centre de ta vie ! », « Pourquoi tu n’as qu’une planche ? », il en avait vingt-cinq et c’était vraiment un débat, qu’est ce que cela signifie le surf ?

Il me disait toujours : « On a besoin d’un gun ! », une planche spéciale pour les grosses vagues, mais à cette époque je n’avais pas de gun pour les mêmes raisons que beaucoup de surfeurs n’ont pas non plus de gun : car quand le surf est vraiment gros, tu veux être capable de dire : « Oh mince, je n’ai pas la bonne planche ! » ; « Non, non, vas-y, prends mon gun, il n’y a pas de problème … ».

Etrangement le chapitre qui suit celui-ci, je déménage à New-York et je ne surfais pas assez et là j’ai commencé à aller à Madère et je suis devenu vraiment fan de cet endroit où je suis allé dix-huit hivers de suite. Il y avait très peu de surfeurs à Madère et il y avait de grosses vagues. Et là j’ai eu un gun, j’en avait besoin, j’ai commencé à m’intéresser aux plus grosses vagues et j’ai écrit ça. Mais j’étais dans la quarantaine …

La question est pourquoi je fais ça ? Encore une fois les surfeurs de grosses vagues c’est une espèce à part. Je ne suis pas un surfeur de grosses vagues mais j’essaye de pousser mes limites. Surfer c’est différent pour chacun, mais ma vie ça a toujours été : où sont mes limites ? Où est la limite ? Chercher les vagues, pas juste les plus grosses vagues, les meilleures vagues. Il y en a qui sont vraiment très dangereuses, l’exploration de la vague, la limite, la mer était vraiment une nouvelle frontière pour moi. Il n’y avait pas Mark là avec moi…

Il y a aussi un autre gars dans lequel j’avais déjà beaucoup plus confiance, qui est un de mes amis dont je parle dans ce chapitre. C’était un surfeur formidable et un très bon surfeur de grosses vagues, mais il était capable de dire : « Non là cela devient trop gros, on se barre ! » et en effet, la seule fois où quelqu’un m’a sauvé la vie, c’est lui, durant une nuit à Madère.

Tu écris que tu as une propension à attirer la violence, les évènements violents, et on le voit au début du livre avec le fameux Freitas qui te martyrise en salle de classe. Ma question est plus politique, car tu sais que les Français adorent la politique : tu écris sur la violence dans le monde et on sait qu’aux USA depuis 1968 il y a eut plus d’un million 500 000 personnes qui ont été tuées lors de crimes. Donc j’ai deux questions :

- Est-ce que le monde irait mieux si les dirigeants du monde surfaient au lieu de golfer ?

- Est-ce qu’il y a des valeurs, des valeurs du surf, qui pourraient aujourd’hui profiter à l’humanité ?

J’essaye de ne pas rendre le surf romantique. Je veut dire que pour moi c’est une évidence : surfer c’est totalement supérieur au fait de golfer, mais je ne sais pas, j’ai passé toute ma vie avec des surfeurs, je ne pense pas qu’ils sont plus gentils que d’autres personnes. On partage quelque chose ensemble, qui peut être extrêmement intense ; il y a beaucoup d’éléments culturels et d’autres choses qui font que normalement on ne devait pas être amis, mais c’est le surf qu’on a en commun. Mais peut-être que le golf c’est aussi comme ça. On a même pensé que parce que les surfeurs évoluent dans un environnement naturel, les surfeurs sont des environnementaux convaincus, par exemple.

Mais je ne pense pas que cela soit vraiment vrai. Je ne suis pas sûr que la violence soit vraiment dans cette question, mais l’essence quand on surfe est d’être confronté à la violence de la nature et le plus sérieusement on surfe, le plus on est confronté à ça. Moi ce que je cherche, c’est une expérience de beauté. La beauté est d’autant plus proche de cette violence, de laquelle on peut s’approcher, de laquelle on peut s’accommoder.

Alors cette équation est assez compliquée et complexe. C’est vrai que j’écris au sujet de la violence et des conflits, mais pour moi c’est complètement différent. Vous savez, comment on gère ça vis-à-vis de soi est aussi complètement différent. En surfant, quand la situation est compliquée, vous devez contrôler votre respiration, ralentir votre cœur, utiliser votre expérience, votre connaissance de l’océan pour vous sortir de cette situation, de cette mauvaise passe. Alors que lorsqu’on est en train de couvrir un conflit, par exemple quand j’étais au Venezuela, ce n’était pas vraiment une guerre, mais un désastre effroyable, beaucoup de violence dans les rues et j’essayai d’écrire sur ça. C’est assez clair pour moi que le sentiment que j’avais chaque matin, cette espèce de peur que j’avais en faisant mon travail, était complètement différente de la peur que je peux avoir dans l’océan. La violence politique, la violence quand les êtres humains essayent de se faire du mal, de se tuer, et votre comportement, c’est bien sûr différent. Il est important d’agir d’une certaine manière, mais ralentir votre respiration, votre cœur, ne va pas vous empêcher de prendre une balle pendant une fusillade. Votre respiration ne fait rien, c’est de la chance alors et c’est un sentiment très amer, il y a beaucoup d’adrénaline dans ce travail et un mauvais sentiment par rapport aux gens en général.

J’essaye de penser aux valeurs du surf comme vous l’avez mentionné et les pires des hommes, comme dans les conflits armés, le crime organisé, ce genre de choses … je ne suis pas sûr de ce que sont les valeurs du surf. Mais pour moi, comme pour beaucoup de surfeurs, c’est quand même une recherche de la beauté, quelque chose qui ne sert à rien, inutile, non productif, on ne contribue pas à la société… mais de par mon expérience, on est très très loin du monde des conflits, c’est extrêmement séparé. Pour moi, surfer est un refuge par rapport à mon travail, qui peut-être vraiment déprimant.

Merci beaucoup William

Merci beaucoup pour ces questions intéressantes, merci beaucoup pour être venus.

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